A la manœuvre, ce sont les combattants du mouvement politico-confessionnel Ansar Allah, communément appelés les Houthis en référence à leur leader, qui mènent les hostilités, réfutant «toute influence iranienne».
Par M. Abdelkrim – Elwatan
L’escalade se poursuit près du détroit de Bab El Mandeb, au large des côtes yéménites, devenu de moins en moins sûr pour les navires faisant route vers Israël.
Après avoir déployé en Méditerranée orientale son plus gros porte-avion, l’USS Gerald Ford, en octobre dernier, afin de protéger son allié israélien contre une percée au nord du Hezbollah, les Etats-Unis annoncent désormais mobiliser une coalition militaire pour contrecarrer les actions d’Ansar Allah, communément appelés les Houthis en référence à leur leader, au large du Yémen.
Le ministre américain de la Défense a en effet annoncé lundi la formation en mer Rouge d’une coalition de 10 pays, afin de «faire face aux attaques répétées des Houthis».
Lloyd Austin a précisé que les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, Bahreïn, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et les Seychelles constitueront cette coalition dans le cadre de l’opération nommée «Prosperity Guardian».
Paradoxalement, Israël ne fait pas partie de la coalition en mer Rouge. Encore moins l’Egypte et l’Arabie Saoudite, pourtant considérées comme les alliés attitrés de la «superpuissance» américaine. Les deux Etats arabes susmentionnés, premiers concernés par ce qui se passe en mer Rouge, ont-ils refusé d’y prendre part ?
Ou ont-ils décidé de temporiser pour y voir mieux ? Car, en face, les actions audacieuses des Houthis traduisent non seulement une extension exponentielle du conflit israélo-palestinien, aggravé par l’entreprise génocidaire sioniste contre les populations civiles de la Bande de Ghaza, mais présentent surtout le risque d’un conflit régional qui pourrait éventuellement hypothéquer – et à long terme – tous les grands projets économiques pensés par l’Arabie Saoudite et, à une échelle moindre, l’Egypte.
Même si certains analystes préfèrent, pour le moment, qualifier cette escalade de guerre «à basse intensité» ou «délégatoire» en faisant souvent référence à l’Iran.
Mais force est de constater que ce sont les combattants du mouvement politico-confessionnel Ansar Allah qui mènent les hostilités et rendent pratiquement impraticable le golfe d’Aden et Bab El Mandeb, réfutant «toute influence iranienne».
Et, ils ont encore récidivé lundi, en ciblant un navire norvégien, le M/T Swan Atlantic. Celui-ci a été touché en mer Rouge par un «objet non identifié», a indiqué dans un communiqué son propriétaire, Inventor Chemical Tankers.
Les Houthis ont, dans la même journée, revendiqué officiellement deux attaques. Le porte-parole des forces armées yéménites, le général de brigade Yahya Sarie, a expliqué dans un communiqué que les forces navales ont mené une opération militaire «qualitative» contre deux navires liés à l’entité sioniste.
Il s’agit du M/T Swan Atlantic, chargé de pétrole, et du MSC Clara, un porte-conteneur. Yahya Sarie a déclaré que l’opération militaire contre les deux navires a eu lieu après que leurs équipages aient refusé de répondre aux appels des forces navales yéménites.
Plus tôt dans la journée, le géant britannique des hydrocarbures British Petrolieum (BP) avait annoncé suspendre tout transit en mer Rouge à cause des «attaques à répétition (…)».
«Compte tenu de la détérioration de la situation sécuritaire du transport maritime en mer Rouge, BP a décidé de suspendre temporairement tous les transits via la mer Rouge», a indiqué le groupe pétrolier dans une déclaration transmise à l’AFP.
Vendredi et samedi, cinq armateurs, dont deux parmi les plus importants au monde, avaient fait savoir que leurs navires n’emprunteraient plus la mer Rouge «jusqu’à nouvel ordre», au moins jusqu’à ce que le passage «soit sûr».
Il s’agit du danois Maersk, de l’allemand Hapag-Lloyd, du français CMA CGM, de l’italo-suisse MSC et du hongkongais Orient Overseas Container Line Ltd (OOCL). Le géant taïwanais Evergreena, lui aussi, a annoncé changer d’itinéraire et suspendre tout transit en mer Rouge.
Sur fond d’incertitudes en mer Rouge, nourries par un conflit qui risque de dégénérer à tout moment, les prix du baril de pétrole étaient tirés vers le haut hier. Vers 12h50 GMT, le prix du baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en février prenait 1,24% à 77,50 dollars. Son équivalent américain, le baril de West Texas Intermediate (WTI) pour livraison en janvier gagnait 1,19% à 72,28 dollars.
Le détroit de Bab El Mandeb constitue un point de passage stratégique pour les hydrocarbures, notamment en provenance du Golfe. Ces dernières semaines, les rebelles yéménites ont prévenu qu’ils viseraient des navires naviguant au large des côtes du Yémen ayant des liens avec Israël, en riposte à l’agression israélienne à Ghaza.
«Un principe religieux, national et moral»
Le chef houthis de la délégation nationale de négociation, Muhammad Abdel Salam, a ainsi rappelé, lundi, que la position yéménite envers la Palestine découle d’«un principe religieux, national et moral», a rapporté l’agence yéménite Saba.
«Les opérations yéménites ont un impact économique majeur sur l’ennemi israélien et constituent un argument pour les pays du monde islamique», a-t-il souligné, cité par la même source.
Abdel Salam a, en outre, affirmé que «toutes les actions entreprises par les forces armées yéménites sont liées à la levée du siège de Ghaza et à l’arrêt de l’agression contre cette ville (…), nos opérations ciblent uniquement les navires israéliens connectés aux ports occupés».
Il a, dans une déclaration répercutée par Saba, assuré que la mer Rouge est «sûre» pour la navigation maritime, à l’«exception des navires liés à l’ennemi israélien», saluant, ce faisant, la position de la compagnie chinoise de cesser d’envoyer ses navires vers les ports de l’entité sioniste.
Pour sa part, le commandant de la cinquième zone militaire, le général Yusuf Al Madani, a déclaré à la chaîne yéménite Radio 21 September que «toute escalade à Ghaza serait compensée par une escalade dans la mer Rouge».
Il a aussi indiqué que le «front de la mer Rouge fait partie du front palestinien et que le Yémen fait partie intégrante de la bataille de la Palestine». «Nous sommes préoccupés par la préparation croissante à faire face à toute menace qui pourrait surgir, car l’ennemi se cache au Yémen et cherche à réagir après avoir été offensé», a-t-il poursuivi.
Les attaques qui se sont intensifiées depuis ce week-end contre des navires à Bab El Mandeb coïncident avec une visite dans la région du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, consacrée notamment à la sécurité maritime.
Un long détour
S’ils ne transitent plus par le canal de Suez et la mer Rouge, les navires doivent contourner l’Afrique et passer par le cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud), ce qui va considérablement rallonger les trajets. Pour relier Rotterdam à Singapour, le détour rallonge le voyage de 40%, passant d’à peu près 8400 milles marins (15 550 km) à 11 720 milles (21 700 km), selon le cabinet S&P Global.
Le mouvement Ansar Allah, forte minorité zayidite implantée notamment dans le nord du Yémen, a démontré depuis 2014 une capacité stratégique de contrôle territorial dans l’ensemble du pays. Ce mouvement, issu d’une branche de l’islam chiite au sein d’un pays majoritairement sunnite, a pris racine dans les années 1990 dans un Yémen fraîchement réunifié.
Après des années de lutte armée, la guerre civile déclenchée en 2014 les porte progressivement au pouvoir. S’interfère alors l’Arabie Saoudite qui déclenche «Tempête décisive», une opération militaire soutenue par une coalition de dix pays arabes. Le conflit conduit à la mort de 400 000 personnes et, selon les termes des Nations unies, à «la plus grave crise humanitaire au monde».
Lors de ce conflit fratricide, Ansar Allah réussit toutefois à étoffer son arsenal militaire : missiles balistiques et de croisière, drones, mines ventouses…Téhéran, accusée par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite de fournir du matériel à Ansar Allah, dément, tandis que les principaux concernés revendiquent une production autonome. De quoi, concrètement, paralyser l’un des plus importants détroits maritimes au monde.
La Finul qualifie de «dangereuse» la situation dans le sud du Liban
Avec la montée des tensions entre le Hezbollah et l’occupant israélien, «la situation actuelle est tendue. C’est difficile, c’est dangereux», a déclaré lundi à des journalistes le général Aroldo Lazaro Saenz, commandant de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Il a expliqué que la Finul s’efforçait de maintenir un statu quo et surtout de jouer un rôle de médiation entre les parties «pour éviter des erreurs de calculs ou d’interprétations qui pourraient être un autre déclencheur d’escalade».
Le général Lazaro a, en outre, fait savoir que le Hezbollah utilise des armes de plus longue portée, alors qu’Israël viole l’espace aérien du Liban, soulignant l’étroite corrélation entre l’agression israélienne à Ghaza et la montée des tensions dans le sud du Liban. La Finul n’est pas épargnée par l’escalade des tensions. Le 25 novembre, des tirs israéliens ont touché un véhicule de patrouille de cette force onusienne.
Pour sa part, le Hezbollah a prévenu lundi qu’il répondra «de manière réciproque à tout préjudice porté aux civils», peu après qu’un missile israélien se soit abattu près du lieu des funérailles d’un combattant de la formation, sans faire de victimes. Depuis le début de l’agression israélienne contre Ghaza, le Hezbollah a ouvert un nouveau front dans le sud du Liban pour appuyer la résistance palestinienne. M. A.
Les Houthis déterminés à poursuivre leurs attaques
Les combattants d’Ansar Allah (houthis) ont déclaré hier qu’ils ne cesseraient pas leurs attaques contre les navires marchands en mer Rouge, malgré l’annonce par les Etats-Unis de la création d’une nouvelle force de protection maritime.
«Même si l’Amérique mobilise le monde entier, nos opérations militaires ne s’arrêteront pas (…) quels que soient les sacrifices que cela nous coûte», a indiqué Mohammed Al Bukhaiti, un haut responsable des Houthis, sur le réseau social X (anciennement Twitter).
Il a ajouté que ces attaques s’arrêteraient seulement «si Israël cesse ses crimes et que la nourriture, les médicaments et le carburant parviennent à la population assiégée» de la Bande de Ghaza. Un haut responsable des rebelles houthis du Yémen a déclaré hier que «tout pays» qui agirait contre eux verrait ses navires pris pour cible en mer Rouge, au lendemain de la création par Washington d’une force multinationale de protection maritime.
«Tout pays qui agit contre nous verra ses navires pris pour cibles en mer Rouge», a déclaré Mohammed Ali Al Houthi, dans une interview accordée au site d’al-Alam, la chaîne arabophone de la télévision officielle en Iran. R. N.
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