La politique étrangère tunisienne suscite ces derniers temps l’attention des observateurs nationaux et internationaux. Le Président de la République semble avoir jeté un pavé dans la mare en brandissant un non catégorique à l’encontre de certains partenaires classiques qui chercheraient à maintenir leur hégémonie.
Par Mohamed Hedi ABDELLAOUI Publié sur 03/10/2023 – Journal La Presse
Le ministre des Affaires étrangères Nabil Ammar a assuré, à l’issue d’un récent entretien avec son homologue russe Sergueï Lavrov, la disposition des deux pays à consolider leur coopération dans tous les domaines. Pour certains observateurs, cette politique étrangère tunisienne, qui oppose désormais à toute ingérence une fin de non-recevoir, est à bien des égards salutaire.
Abondant dans ce sens, le directeur du Centre arabe des études politiques et sociales de Genève, Riadh Sidaoui, contacté par La Presse, fait remarquer que la Tunisie est en droit de se présenter désormais sur l’échiquier international beaucoup plus comme une entité opérationnelle que décorative. Selon lui, le Président Kaïs Saïed, très attaché à la souveraineté nationale, fait preuve de réalisme, mais aussi de pragmatisme, en cherchant à diversifier les partenariats avec les principaux acteurs internationaux. « Sur le terrain de jeu des relations internationales, certains éléments sont opérationnels et d’autres décoratifs. Si notre pays a longtemps relevé du second rang, il a aujourd’hui l’occasion de faire entendre sa voix. Dans un contexte national qui croit et défend les principes de souveraineté nationale et de dignité des citoyens tunisiens et dans un contexte international régi par des bouleversements majeurs, l’occasion est venue pour nous d’explorer de nouveaux horizons », explique-t-il.
Un monde multipolaire
Il faut bien reconnaître que les Chinois et les Russes n’interviennent pas dans les affaires des États quand ils les soutiennent économiquement, laisse entendre le géopoliticien. « A contrario, les États-Unis et l’Europe s’érigent souvent en donneurs de leçons. D’autant qu’ils exigent le droit d’ingérence directe en contrepartie des aides qu’ils octroient aux partenaires. Ils feignent d’oublier un nouvel ordre mondial en perpétuel mouvement et qui se veut multipolaire, offrant aux pays les moins nantis plus d’options». «De ce point de vue, estime Sidaoui, je dirai que la Tunisie a tout à gagner en renforçant et en diversifiant sa coopération avec la Chine et la Russie. Figurez-vous que la Chine dispose de plus de 1.180 milliards de dollars investis dans les dettes américaines et de plus de 1.000 milliards de dollars auprès de l’Union européenne. Pour le cas de la France, à elle seule, on parle de 350 milliards de dollars. Tout cela sans oublier que le nord italien a été construit par la Chine », énumère notre interlocuteur.
Quels avantages pour la Tunisie ?
À la question de savoir quels sont les avantages que pourrait récolter la Tunisie pour susciter et attirer vers elle deux géants que sont la Chine et la Russie, l’expert considère que la guerre froide et la bataille qui fait rage aux portes de l’Afrique, opposant États-Unis et Europe d’un côté et Chine et Russie de l’autre, jouent en faveur de la Tunisie, qui reste une clé et pas des moindres, forte en cela de sa position géographique et de son capital humain.
N’y allant pas par quatre chemins, géostratège et ancien haut responsable militaire, Kilani Ben Nasr, se félicite du réveil tunisien après une pause qui n’a que trop duré. « Le Président de la République a agi comme il se doit. Je pense qu’il a sauvé le pays de l’émiettement, là où les prédateurs et les menaces guettaient de toutes parts. Le Chef de l’Etat a, à maintes reprises, insisté sur le principe de souveraineté nationale. En rappelant les constantes de la diplomatie tunisienne et les dispositions du préambule de la Constitution du 25 juillet 2022 qui stipule le refus de toute ingérence étrangère dans ses affaires intérieures».
Peut-on se défendre face aux prédateurs ?
Dans le camp opposé, certains observateurs dénoncent une politique étrangère « alliant improvisation et enfermement ». S’exprimant sous le couvert de l’anonymat, un spécialiste des relations internationales établi à Bruxelles, reproche à la Tunisie un mode opératoire qui n’est, in fine, qu’un « saut dans l’inconnu », selon ses propres propos. « Quand on fait cavalier seul face aux puissants du monde, on finira dans le précipice.
Car, en stratégie comme à la chasse, il vaut mieux ne pas courir plusieurs risques à la fois. Or, l’on assiste à une marche suicidaire ces derniers temps », se désole-t-il.
Si les relations commerciales entre l’UE et la Tunisie remontent à 1969, date de la signature du premier accord commercial CEE-Tunisie, avec la Russie, les relations sont cordiales et se sont renforcées récemment par les rencontres entre le ministre Nabil Ammar et son homologue Sergueï Lavrov. Entre l’Urss et la Tunisie, les relations diplomatiques ont été établies en 1956. La même année, l’association d’amitié soviéto-tunisienne est créée.
Depuis, c’est un partenariat soutenu par des actions ponctuelles.
Quant aux échanges économiques, ils demeurent assez réduits.
Avec l’autre grande puissance qu’est la Chine, les relations remontent à 1973-1977, lorsque l’Empire du Milieu a participé dans une proportion non négligeable aux livraisons d’armes à la Tunisie.
Autant dire qu’avec les deux puissances, si la Tunisie mène sa barque comme il se doit, elle aura tout à gagner
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